Article paru dans l'édition du journal LE MONDE du 22.11.08

La belle saison des trecks au Népal
Marche dans le massif préservé du Manaslu
Après des années de troubles, le tourisme reprend.


Avant de se rendre au Népal pour la première fois, l'esprit vagabonde. L'endroit possède sa mythologie, ses images d'Epinal, entre ivresse des sommets et héritage New Age. Si bien que la peur d'être déçu affleure.
Autant le dire d'emblée : les nostalgiques des années 1970, lorsque Katmandou était devenue une sorte de Mecque hippie, imbibée de psychotropes, en seront pour leurs frais. Le Népal, regardé d'un oeil contemporain, est certes largement figé dans le passé, mais il est difficile de s'en réjouir.
Le pays est parmi les plus miséreux de la planète. Sa vibrionnante capitale tousse, saturée de la fumée des pots d'échappement. Les Klaxon y vrillent les tympans des promeneurs, qui craignent de se faire écraser. Les coupures d'électricité - trois heures par jour en moyenne - paralysent régulièrement la capitale. Tout comme les bhand, ces grèves qui disent une amertume d'oubliés de la croissance. Pourtant, la population, fidèle à sa réputation, ne se départ pas d'un immuable sourire.
Cela posé, les amateurs de montagne, les pieds dans leurs godillots, seront rassasiés. Coincé entre l'Inde, au sud, et la Chine, au nord, le Népal demeure le pays emblème de l'Himalaya, la reine de toutes les chaînes.
A Thamel, le quartier des hôtels de Katmandou, a fleuri à côté des magasins de vêtements " ethniques " un fatras de boutiques emplies de doudounes, sacs de couchage, gourdes et piolets siglés des plus grandes marques. Des contrefaçons, dans la plupart des cas. Katmandou, avec son aéroport international de poche, planté dans la ville, est la rampe de lancement vers les cimes. La carte des réjouissances est alléchante : Thamel fourmille d'agences qui proposent, à qui mieux mieux, un catalogue fourni de trekkings ou d'" expés ". Les premiers, de la paisible balade d'un jour à la randonnée de six semaines, n'exigent pas de compétences en alpinisme. Les secondes, elles, s'adressent aux férus des cordes et crampons, qui viennent exaucer leurs rêves de hauteur.
PORTES DÉROBÉES
La peur de se retrouver nez à nez avec la guérilla maoïste n'a plus lieu d'être : le pays a aboli sa royauté en mai et les combattants rebelles ont fait leur entrée au Parlement. Leur chef de file, Pushpa Kamal Dahal, dit " Prachanda " (le " féroce "), est devenu premier ministre. L'ancien " terroriste " est désormais admis à la table des Nations unies. Les affaires reprennent, même si la stabilité du pays paraît précaire.
Dans le méli-mélo des " grands " trekkings, on trouve des itinéraires très fréquentés, comme le tour des Annapurnas ou la route vers le camp de base du mont Everest. Jalonnés de lodges, manière d'auberges spartiates, ils peuvent se parcourir en solitaire, muni de rudiments d'anglais, d'un sac à dos et de bonnes jambes.
Mais il y a aussi des portes dérobées vers les profondes vallées himalayennes. Ainsi du tour du Manaslu, huitième plus haut sommet du monde (8 156 m). Ce parcours qui serpente en terre maoïste, et donc délaissé ces dernières années, vous hisse à plus de 5 000 m et amène lentement dans un haut massif de culture tibétaine.
Dans ce trekking, les chemins, qui serpentent au milieu des rizières, des forêts, ou tutoient les glaciers hérissés de séracs, sont parfois durs à trouver. Et les structures d'accueil du randonneur, dans les nombreux villages traversés, trop rares pour que l'on puisse s'y fier. Difficile, donc, de faire l'économie d'une tente et d'un peu de compagnie. Un peu ? Partez à deux, et l'agence de votre choix vous lestera d'au moins cinq porteurs, d'un guide et d'un cuisinier... L'équipe peut être deux fois plus nombreuse.
L'inconfort moral de cette aventure collective, où vous regardez de petits gaillards porter 40 kg dans des panières en osier pendant que vos épaules ne supportent qu'un sac à dos avec vos effets du jour, est le prix à payer pour une escapade pas trop compliquée.
Le cas de conscience est toutefois relatif : vous aurez la satisfaction de fournir du travail, dont vous pouvez vous assurer qu'il est rémunéré au moins au prix du marché (500 roupies environ par jour pour un porteur, soit 5 euros, cinq fois le revenu quotidien moyen au Népal).
Même si vous êtes lesté de vos contradictions, les sentiers népalais n'en sont pas plus rudes à gravir. Heureusement, car il y a déjà fort à faire. Le plat est ici une notion abstraite. Même si une étape amène à une altitude équivalente à celle du point de départ, en longeant un cours d'eau, il ne faut pas se méprendre : le copieux menu sera composé de montées et de descentes, jusqu'à plus soif.
La topographie, faite de pentes abruptes et d'étroits fonds de vallée, où seule l'eau parvient à se faufiler, impose des détours vers les hauteurs.
L'effort physique peut être un plaisir, mais le tour du Manaslu en ménage beaucoup d'autres. Pêle-mêle : ces centaines d'enfants, croisés au fil du temps, qui vous scandent la bienvenue - " Namaste ! " ; le sourire des porteurs, qui oublient l'étiquette et acceptent de boire à votre gourde ; les nuages, qui filent comme des comètes, poussés par le jet-stream, au-dessus des plus hauts sommets ; le monastère de Sama Gompa et son lama pédagogue ; cet alpiniste kazakh revenu de l'enfer des sommets qui veut à tout prix votre téléphone satellite alors que vous n'en avez pas ; Barpak, ce village propret dans un océan de misère, où les hommes se donnent à l'armée britannique pour assurer la prospérité des leurs ; et même, finalement, cette drôle de guerre déclarée aux sangsues proliférant dans les rizières, qui se glissent entre les orteils...
VISAGES LUMINEUX 
Au moment du départ, un regard aux photos. L'on trouve des montagnes superbes, des visages lumineux. Ceux des porteurs, cinq authentiques représentants de l'ethnie sherpa, tout sourire, reviennent en leitmotiv. Mais jamais on ne les a photographiés portant leur fardeau. Une curieuse pudeur, si peu népalaise.
Ici, sur les chemins abrupts, les camions de livraison sont autant d'humains, durs au mal. Les gamins marchent à peine qu'ils transportent déjà des fagots de bois. Et les grands-mères habillent leur silhouette voûtée d'une lourde panière, qui repose sur leurs reins fatigués. L'une d'elles se demande ce qui nous amène : " Un trekking ? C'est quoi, le trekking ? " Beaucoup de rencontres, finalement.

Pierre Jaxel-Truer


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